Historique

1915, selon un ancien Grand Mour, serait l'an de grâce de la fondation du mystérieux Comité des Masqués, alias le CDM. Des bandes enregistrées en attestent l'authenticité. Caffian, Pointu, Vis-à-bois, Pot d'huile et l'Emile, réunis devant trois décis au café des Muettes, vont donner aux Brandons une tenue plus structurée. De manière radicale, pour situer les joyeux lurons.

Depuis, cortèges et journaux vont gagner en ampleur et qualité. Il fallait inscrire ces sobriquets dans ce chapitre d'or. Comme signe de ralliement, les membres du CDM ont choisi un petit mour de bronze à grand nez. Certains le portaient comme pendentif, d'autres préféraient l'accrocher au gousset de leur montre. Véritable force occulte, le CDM, sa puissance et son droit; il prenait sans façon possession de la cave communale, en des termes qui laissaient pantoises les autorités: "Nous allons descendre dans notre cave et vous voudrez bien nous envoyer votre délégué!" Puissance du carnaval... A la tête du Comité des masqués siège le Grand Mour, seigneur, maître et dictateur absolu. Son avis prime sur celui des sept ou huit membres de la bande, les Mours. C'est lui aussi qui admet les Mourdzets, candidats tout neufs à l'aventure périlleuse de la rédaction du journal ou à l'organisation du cortège. Le CDM a élaboré un très strict décalogue dont nous vous livrons ici, en exclusivité, deux articles:

Art. 3 : Sache que tu dois le respect à personne;
Car sous le mour on n'a ni patron ni patronne.

Art. 4 : Tu ne reconnaîtras ni loi ni bourgmestre
Tu devras adorer seulement Saint-Sylvestre.

Si nous avons écrit plus haut que la fondation du CDM datait de 1915, rien n'est moins sûr. Mais c'est authentiquement vrai... Pourtant, le journal La Pétuble, paru l'année précédente, laissait entendre que ce groupuscule farceur existait déjà, puisque l'on pouvait lire dans son sous-titre: "organe secret du Comité des Masqués - Rédaction I. Responsable - Résumé des Cancans, Potins et autres légumes de ce genre, paraissant à Payerne quand bon lui semble. Tout article écrit dans un but de dénigrement est rigoureusement refusé. "

Meilleure explication du journal des Brandons ne pourrait être trouvée. Cette Pétuble, c'est le symbole - Ô combien payernois - de l'outre gonflée de vide dans un viscère de porc : " Ça fait du bruit mais pas de mal!" Soit dit en passant, les masqués de 1914 n'étaient pas légions ; Arsène Bourillon relatait dans son éditorial: "Pour nous les vieux, un bal masqué c'était un bal où tout le monde était masqué! Aujourd'hui, sur vingt paires qui dansent, il y en a 19 et demi qui sont en civil, et il n'y a que la demoiselle de la 20e paire qui ait enfilé un domino. Ça fait vraiment pitié. Il faut croire que vous êtes devenus tellement laids au XXe siècle que vous n'avez pas besoin de visagère!" Les traditions se perdent... et reviendront. Les rédacteurs du journal, surnommés "Plumiers ou Voyants", auront bien des problèmes avec les plaintes qui pleuvront sur leurs pages comme des mouches. Plaintes qui finiront par sécher leur encre en 1957. Mais, nous n'en sommes pas encore là. Autrefois, les procès intentés par les râleurs imbéciles se réglaient très souvent devant un demi du précieux liquide de Lavaux, autour de la table ronde de la pinte des Muettes. Le subtil jeu de cache-cache imprimé dans le journal satirique, où tout se signale et se signe au travers des sobriquets, ne permettait jamais de savoir qui était à la source de quoi... Au fait, les sobriquets payernois, c'est quelque chose. Jugez-en plutôt ! :

Faut-il faire mention des sobriquets de Payerne ?
Prêtez un peu d'attention à ces quelques balivernes:
Dans les durs, Caillou, Cassette, Croque, Cudron, Quarquenette, Puis les doux: Voici Canelle, Couli, Chocolat, Gabelle
Les corps gras ont Caqueyon, la Marie des Gueyons,
Le Propre, l'Emmocalé, Pantet, Pipi, Rampelé...
Fifi, Ligogue et Pisette, dans le langage épicé,
Avec Gueyon et Gueyette se sont toujours surpassés.
Touyou, gras comme un évêque, adore les 3 décis,
A rendre jaloux Tsévêque, et nous dit: " Vivez ainsi"...

Le titre du journal doit rester secret jusqu'à sa mise en vente, nous l'avons déjà dit. Pourtant, il est arrivé que certain malin le dévoile à la table d'un bistro. Résultat : il fallut refaire l'entête et les surtitres de pages ! A deux jours de sa parution, un sacré travail pour les artisans du plomb... Mais, on ne discute pas avec les traditions brandonnesques ! Pour en terminer avec le journal, citons encore quelques-uns des titres que les collectionneurs renferment jalousement dans leurs greniers ou leurs mémoires: Le Guigne-Tout, Le Boyau-Gras, Le Mène-Mour, La Ramassoire, Le Pétrin, Le Fouêtre et La Taupe, etc... Cinq ans avant son enterrement, le Comité des Masqués recevra la plus belle couronne de louanges qu'on puisse imaginer pour un cinquantenaire improbable. Fondé en 15, il aurait 50 ans en 1953? Allons donc! C'est à la plume du plus célèbre historien local que nous devons ce chef-d'œuvre immortel que nous nous devions de reproduire ici. Qu'on nous permette de le remercier et de ne pas le nommer, pour le succès de la cause. Il comprendra depuis les nuages éternels...

"Honneur, louange et gloire, anonymes masqués,
Qui, depuis cinquante ans jamais ne renasquez
Pour donner aux pintiers une ample clientèle
Et faire des Brandons une fête modèle.
Vous êtes les gardiens de l'humour payernois.
On vous hume, on vous sent, personne ne vous voit.
Vous travaillez, cachés au café des Muettes
Dans un profond mystère, en buvant du Belette.
Vous remuez parfois les souvenirs heureux,
Quand vous avez chiné des gens trop chatouilleux,
Quand Pius dessinait d'un crayon pittoresque
Le titre d'un journal pour vos propos burlesques,
Lorsque vous rédigiez des annonces comiques,
Ou les exploits secrets de nos grands politiques.
Longtemps Emile Jan inspira vos propos;
Au moment des Brandons, vous n'aviez nul repos:
Le journal malicieux, issu de vos cervelles,
Ballets, cortège, chars, un tas de bagatelles,
Et le temps menaçant vous rendant anxieux,
Qui vous montait le cou pour implorer les deux.
Mais vous n'étiez jamais ni méchants, ni grivois.
Vous moquiez les travers de vos combourgeois
Sans troubler des cocus la paix de leur ménage,
Ni les gens sérieux, dont le cœur déménage.
Que d'envois vous deviez mettre vite au panier,
Trop osés, insultants et parfois orduriers.
Votre satire est saine et ne prétend qu'à rire,
Un rire bienveillant qui éclate à vous lire.
Si le monde avait son Comité des Masqués,
II n'aurait nul besoin d'être armé et casqué,
On verrait, grâce à lui la paix régner sur terre
Et l'on adorerait votre sacré mystère.
Fichez-vous des crétins, envieux ou jaloux,
Poursuivez votre tâche, envers et malgré tout.
Si vous n 'étiez pas là, que deviendrait Payerne ?
Une cité sans âme et triste comme Berne.

Envois imprimés ou jetés au panier, autant de mots, de lettres et de photographies qui auront alimenté la case 1000, 2000 et 3000 : adresses qui ont récolté toute la substantifique moelle du Journal des Brandons. Et ça n'est pas fini, car chaque année, les gens se ruent sur cet exutoire fantastique aboutissant dans les cerveaux des écrivains carnavalesques. Et, contrairement au Père Noël, il y a des résultats. Et des plaintes. Bah ! Tant pis pour les nuls, et files cornes!...

Pierre-André Zurkinden